C'est quoi l'éducation bienveillante : effet de mode, bisounours ou recette magique ?
Question de Vincent à Marie-Jeanne Trouchaud (formatrice, conférencière, auteure, thérapeute : militante de l’être humain)
[Vincent] : On entend un petit peu tout et n’importe quoi sur la bienveillance. Pour beaucoup, c’est très flou et pour certains, c’est un effet de mode, pour d’autres c’est très « bisounours », pour certains c’est en plus un enjeu sociétal majeur. Pour vous, c’est quoi la bienveillance ?
Quelqu'un de bienveillant c'est quelqu'un qui veille, qui fait attention.
[Marie-Jeanne] Alors, si on reprend l’étymologie, dans bienveillant, on entend « veiller », et quelqu’un qui veille, c’est quelqu’un qui fait attention. C’est quelqu’un qui a les yeux ouverts, qui, quand il s’agit d’un enfant, l’a dans les yeux, dans le cœur.
C’est loin de ces idées toutes faites, que vous évoquiez sur le côté bisounours, de facilité, mollesse, acceptation, de grand n’importe quoi, pas du tout !
Pour moi, la bienveillance est exigeante vis-à-vis de soi-même et vis-à-vis de l’enfant parce que ça exige justement de la solidité, du calme, quelque chose qui soit vraiment intense et dans cette bienveillance.
Il y a aussi de l’exigence. Vous voyez, ce n’est pas du laisser-faire du tout. En tant que thérapeute, je vois tellement d’ex enfants auxquels on n’a rien demandé et qui se sentent complètement perdus parce qu’ils n’ont pas quelqu’un qui a veillé sur eux.
Il faut savoir que l’instinct paternel ou maternel, c’est l’instinct de protection. Nourrir et protéger. C’est l’instinct animal. Elever un enfant, c’est toute une autre affaire. Il s’agit de comprendre l’enfant, son fonctionnement, ses émotions pour savoir justement comment faire avec lui.
Imposer des règles ou les construire avec nos enfants ?
Parce que si vous dites être strict, les règles, ça va sortir d’où ? Est-ce que ça va sortir de notre cadre de référence, de comment nous avons été nous-mêmes élevés ?
Ou alors de nos croyances, de nos certitudes, de nos dogmes quelque part en éducation ? Et donc est-ce qu’on va imposer des règles ou est-ce qu’on va les construire avec les enfants ? Ainsi, il vont en comprendre le sens et l’intérêt.
Je ne mets jamais en doute la bienveillance en intention des parents, mais la bienveillance en action, c’est autre chose parce que au nom d’une intention, on peut devenir une terreur pour son enfant.
Vouloir le bien de notre enfant, qu’est-ce que c’est ce bien ? Est-ce que c’est vraiment son bien ou est-ce que c’est le bien qu’on a imaginé pour lui ? Et donc, il y a un adage qui dit si tu veux prendre le « latara John », il faut d’abord connaître John et ensuite le latin. Je pense qu’il faut d’abord connaître l’enfant, son fonctionnement.
Aujourd’hui, grâce aux neurosciences, on comprend le fonctionnement du cerveau de l’enfant. On a fait des progrès immenses qui nous permettent de comprendre les émotions et tout ça, il y a vraiment aujourd’hui plein d’auteurs et de chercheurs qui démontrent le fonctionnement de l’enfant et je crois que le devoir d’un parent ou d’un éducateur, c’est de comprendre et de se donner les moyens de comprendre l’enfant.
Potentiellement, peut on tout laisser faire ?
[Vincent] Vous dites construire les règles avec avec l’enfant. Je vais faire volontairement l’avocat du diable pour caricaturer un peu la chose, ça veut dire que potentiellement, on peut le laisser tout faire ? C’est ce que certains reprochent à la bienveillance. Finalement, la bienveillance, c’est dire oui à son enfant ?
[Marie-Jeanne] Bien entendu que non. L’idée, c’est vraiment de dire à l’enfant, voilà il y a des choses à faire, par exemple se brosser les dents, c’est important. Comment on va faire pour que ça se passe bien ?
C’est à dire solliciter son avis mais aussi être ferme sur ce qu’il y a à faire.
Il y a des choses sur lesquelles on ne peut pas transiger comme l’hygiène par exemple. Comment on va faire pour que ça se passe bien ? Comment on va s’organiser ? C’est plus une question d’organisation.
Là, c’est du coup, poser la question à l’enfant. Ce n’est pas l’enfant qui va décider mais on va décider ensemble. L’enfant peut être force de propositions. Moi aussi, je peux dire « on peut peut-être faire comme ça, qu’est-ce que tu en penses ? » Déjà, on va créer un dialogue pour établir, j’aime bien dire, des conventions collectives. C’est à dire qu’entre parents et enfants, on va trouver ce qui va fonctionner selon les besoins de chacun. Moi, j’ai besoin que tu sois en bonne santé et donc j’ai besoin que tu te laves les dents. Comment on va faire pour que ça se passe bien ? On va donc solliciter l’avis de l’enfant mais on va quand même être ferme sur le but à atteindre.
Avec une fratrie on est dans une logique "convention collective" mais il est important de parler aussi à chaque "individu".
Quand on parle à une fratrie finalement, c’est la même chose. On a cette logique de conventions collectives, il y a juste plus d’acteurs autour de la table mais on est dans la même logique, on discute en famille. Et ensemble, on définit quelle est la meilleure façon de faire.
Alors, ça peut être fait en famille mais ce qui est important, c’est toujours d’avoir aussi une relation avec chaque enfant et pas que les enfants soient « les enfants ».
L’individu enfant a besoin d’être lui-même reconnu pour ce qu’il est lui et pas seulement d’être noyé au milieu d’un groupe d’enfants
Il y a des choses qui se travaillent ensemble, qui s’étudient, qui se décident ensemble mais il y a pour chaque enfant, peut-être ensuite, une négociation qui est propre à cet enfant-là.
Attention, quand je dis négociations, il ne s’agit pas de marchandage. C’est comment on va faire pour arriver à ça ? On ne peut pas dire « si tu te lave les dents, je te donne une sucette ». Ca ne marche pas.